dimanche 21 novembre 2010

Y a-t-il du vent en Terre Adélie ? (1)



Voici une petite vidéo assez amusante trouvé e sur le net et tournée en Terre Adélie qui illustre un des problèmes météorologiques auquel nous devrons faire face pendant notre séjour en antarctique. Il s'agit de vents extrêmement violents survenant brusquement et que l'on nomme vents catabatiques dépassant parfois les 300 km/h.
La réalité est que la moyenne annuelle de vitesse des vents est de 30km/h et que 110 jours par an, le vent souffle à plus de 100 km/heure.
Il a d'ailleurs été envisagé en Terre Adélie d'installer des éoliennes comme source d'énergie non fossile pour diminuer aussi les tonnes de gasoil consommés pour le chauffage et l'électricité de la base mais le problèmes technique est complexe entre le froid jusqu'à -40 °C et ces vents hors normes. La première éolienne testée s'est déjà retrouvée à terre !

Ce phénomène participe épisodiquement à dégager la banquise de mer même en plein hiver arctique, nous confinant sur l'île des Pétrels où se situe la base. L'autre conséquence est la température ressentie. On l'appelle l'effet Windchill. Par exemple, -30° avec 80km/h de vent correspond à -70°C sans vent .


On peut consulter sur la base l'enregistrement papier d'un de ces épisodes record en 1972 d'un anémomètre ( dispositif servant à mesurer la vitesse du vent) qui montre une augmentation progressive de la vitesse du vent jusqu'à plus 320 km/h qui a longtemps été le record du monde de vent de surface enregistré (hors tornades).






courbe de l'anémomètre lors du record de 1972

Ces vents sont liés à plusieurs facteurs mais pour faire simple, il s'agit d'un air très froid et dense sur la calotte glaciaire de l'antarctique qui s'écoule comme un fluide, le long des pentes du continent. ce phénomène est parfois accentué par des conditions climatiques particulières : une dépression en aval près de la côte et une inversion de température. Normalement, la température de l'air diminue avec l'altitude mais dans certaine s conditions de nuit sans nuages, le refroidissement des basses couches de l'air est très important provoquant cette inversion et formant un couvercle au-dessus d'un air très dense qui dévale ainsi les pentes. Ce site vous en dira encore plus.

Pensez aux manchots royaux qui affrontent ces températures et ces vents quand nous serons confortablement - mais dans un vacarme assourdissant - installés dans notre base !




vendredi 12 novembre 2010

Rogozov ou comment s'opérer soi-même de l'appendicite en antarctique

Difficile de commencer un blog... J'ai choisi pour commencer de vous conter une histoire "mythique" en rapport avec mon futur séjour en antarctique comme toubib, où notre isolement sera total pendant 8 mois à partir du mois de mars.
Beaucoup d'entre vous connaisse un dessin de Serre dans l'album "Humour noir et homme en blanc" où l'on voit un chirurgien s'opérer lui-même de l'appendicite. Ce que j'ai appris lors de ma préparation pour mon séjour avec le Dr Bachelard, c'est que cette histoire s'est réellement passée en 1961 dans une base russe en Antarctique. Devant l'incrédulité des personnes à qui je racontais l'histoire, j'ai questionné mon ami Google  et découvert le récit du chirurgien et les photos témoignant de cette épisode. Ce cas clinique exceptionnel a été publié récemment en décembre 2009 par son propre fils dans une revue médicale prestigieuse le "British Medical journal" ou "BMJ". Cet article est en anglais et j'ai décidé de vous en faire un aperçu où j'ai traduit de larges passages du récit du chirurgien Leonid Rogozov.

Ce médecin était jeune interne en chirurgie lorsqu'il décida de partir passer un hivernage en Antarctique comme médecin. Il avait aussi la fonction de météorologiste et de chauffeur du véhicule du la base. Alors qu'il était sur la base depuis moins de 2 mois, il commença à sentir une douleur au ventre.

"il me semblait bien que j'avais l'appendicite.Je n'en parlais pas et souriait comme si de rien n'était. Pourquoi inquiéter mes amis? Qui pourrait m'aider d'ailleurs ? le seul contact avec la médecine qu'un hivernant risque d'avoir, est un fauteuil de dentiste"

Il essaye les traitements antibiotiques, les pains de glace sur le ventre mais il sent que son affaire tourne mal. Déjà qu'en 2010 une évacuation sanitaire est quasiment impossible pendant l'hiver austral en Antarctique, en 1961, le Docteur Rogozov comprend rapidement la gravité de la situation.

"Il n'y avait toujours pas de signes objectifs de perforation imminente mais un pressentiment oppressant m'envahissait ...Ca y est...je dois bien me résoudre : le seul moyen de m'en sortir est de m'opérer moi-même...c'est presque impossible..mais je ne dois pas baisser les bras et laisser tomber.
Je ne me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie. Les gars ont découvert la vérité. Ils n'arrêtent pas de venir me voir pour me calmer. Je me déteste. J'ai pourri leur séjour. Demain c'est Sauve-qui-peut. Et maintenant tout le monde court partout et prépare la salle et l'autoclave pour stériliser car nous allons opérer."

Il organise la salle d'opération dans son lit, donne des consignes précises à tous, et l'opération commence.

«Je ne pouvais pas penser à autre chose que la tâche que j'avais à accomplir. Je devais garder mon sang froid et serrer les dents. Dans le cas où je perdrais connaissance, j'avais donné à Sasha Artemev une seringue après lui avoir montré comment faire une injection. J'ai choisi une position demi-assise. J'ai expliqué à Zinovi Teplinsky la façon de tenir le miroir.
Mes pauvres assistants ! Au dernier moment, je les ai regardé:  ils étaient là, dans leurs blouses chirurgicales toutes blanches, aussi blancs qu'ils l'étaient eux-mêmes. J'étais moi-même terrifié. Mais dès que j'ai pris l'aiguille avec l'anesthésique local et que me suis fais la première injection, mon esprit s'est mis en pilotage automatique, et je n'ai plus fait attention à rien d'autre."

La scène est aussi décrite par l' un de ses camarades.

«Quand Rogozov s'était incisé et manipulait ses propres entrailles, son intestin gargouillait et c'était très perturbant pour nous ; tout ce que nous voulions faire c'était de tourner le dos, fuir, ne pas regarder, mais j'ai su garder la tête froid et je suis resté. Artemev et Teplinsky ont tenu un moment, mais ils ont finit par s'éclipser car ils étaient proche du malaise. Rogozov lui-même était calme et concentré sur son travail, mais la sueur coulait sur son visage et il demandait souvent à Teplinsky de lui essuyer le front."


Vous l'avez sans doute remarqué sur la photo, il avait décidé d'opérer sans gants car il supputait qu'il ne verrait pas grand chose et qu'il devrait avoir le maximum de sensation tactile. Il avait demandé également à un assistant de lui tenir un miroir (qu'on aperçoit sur la deuxième photo).

"C'était difficile de bien voir. Le miroir peut aider, mais il me gênait aussi car en fin de compte, il montrait les choses à l'envers. Je travaillais principalement par le toucher. Ça saignait pas mal, mais je prenais mon temps. En ouvrant le péritoine, je perforais le colon et devais le recoudre. Soudain, je réalisais qu' l y avait encore plus de lésions mais je ne les remarquais même plus... Il faut dire que je me sentais de plus en plus faible, ma tête commençait à tourner. Tous les 4-5 minutes, je devais reprendre mes esprits pendant 20-25 secondes. Enfin, le voici, le maudit appendice! Avec horreur, je voyais une tache sombre à sa base. Cela signifiait que seulement un jour de plus et il aurait éclaté, et alors là...
Au moment crucial de l'ablation de l'appendice, je frémis : mon cœur se serra et ralentit vraiment, mes mains étaient comme tétanisées. Aïe, pensais-je, ça va mal finir... Alors qu'il ne restait qu'à enlever l'appendice...Et puis je réalisais que, au fond, j'étais déjà sauvé."

L'opération dura au total 1h 45. A la fin, il a pris quelques cachets pour dormir. Les antibiotiques furent poursuivis. Les symptômes se sont améliorés et deux semaines plus tard il retrouvait une vie normale et pouvait finir l'hivernage. Il est mort il y a 10 ans après une carrière de chirurgien à Léningrad. Quand on lui rappelait les faits, il avait l'habitude de répondre en souriant : "un métier comme un autre, une vie comme une autre".

Son fils, qui est donc l'auteur de l'article du BMJ, est devenu anesthésiste...
Voilà pour ce récit extra-ordinaire. Pour ma part, J'ai déjà été opéré de l'appendicite. C'est déjà ça. Maintenant il reste tellement de chose dans ce foutu ventre...